Face à une crise persistante du transport public, le gouvernement gabonais vient de conclure un accord stratégique avec le constructeur indien Tata Motors pour l’acquisition de 130 bus neufs. Cette initiative d’envergure, portée par les plus hautes instances de la Transition, vise à redynamiser la Société Gabonaise de Transport (SOGATRA) embourbée dans des difficultés financières chroniques et à assurer la pérennité de plus d’un millier d’emplois directs.
Le paysage du transport urbain gabonais s’apprête à connaître une transformation significative. Dans une démarche ambitieuse visant à revitaliser son réseau de transport collectif, le Gabon a officialisé un partenariat majeur avec l’Inde, membre influent des BRICS, pour l’acquisition de 130 bus neufs. Cet accord commercial, conclu avec le géant automobile Tata Motors, traduit une volonté affirmée des autorités gabonaises de sortir la SOGATRA de l’ornière et de répondre aux besoins croissants de mobilité urbaine.
La mission commerciale gabonaise, conduite du 22 au 28 mars 2025 par Florent Bakita, directeur général de la SOGATRA, accompagné de plusieurs cadres du ministère des Transports et de la Marine marchande, a finalisé cette transaction stratégique au terme d’une visite officielle en Inde. Le choix délibéré de Tata Motors ne relève pas du hasard mais d’une analyse pragmatique du marché. Le constructeur indien s’est imposé comme une référence sur le continent africain, notamment par sa présence réussie en Côte d’Ivoire où ses véhicules équipent avec succès la Société des Transports Abidjanais (SOTRA).
Les 130 bus sélectionnés par la délégation gabonaise se distinguent par leur conception adaptée aux réalités routières africaines, souvent caractérisées par des infrastructures disparates et des conditions d’exploitation exigeantes. Selon les déclarations de Nadine Murielle Ogoula Obiang, présidente du conseil d’administration de la SOGATRA, ces nouvelles acquisitions remplaceront un parc « vieillissant » et « obsolète », incapable de répondre aux standards de qualité et de fiabilité exigés par une capitale en pleine expansion.
Cette initiative intervient dans un contexte particulièrement critique pour la SOGATRA. L’entreprise publique traverse une crise multidimensionnelle dont les manifestations les plus visibles ont éclaté en février 2025, lorsqu’un mouvement social d’ampleur a paralysé ses activités. Les agents, exaspérés par le non-paiement de leurs salaires de janvier, avaient alors cessé le travail, contraignant le Président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, à mobiliser plusieurs membres du gouvernement pour annoncer un déblocage immédiat de fonds et apaiser les tensions.
Les difficultés structurelles de la SOGATRA plongent leurs racines bien au-delà de cet épisode récent. Depuis 2021, l’entreprise publique accumule les arriérés de salaires – atteignant parfois jusqu’à dix mois consécutifs – et les dettes envers les organismes de sécurité sociale. La mesure de gratuité des transports instaurée pendant la pandémie de Covid-19, si elle répondait à un impératif social immédiat, a considérablement aggravé le déséquilibre financier de l’entreprise. Face à cette situation, Mme Ogoula Obiang a d’ailleurs récemment plaidé pour le rétablissement d’une tarification payante, condition sine qua non d’un retour à l’équilibre opérationnel.
Au-delà des défis conjoncturels, les autorités gabonaises s’attaquent également aux dysfonctionnements structurels qui minent l’efficacité de la SOGATRA : une gestion qualifiée par certains observateurs de « peu orthodoxe », des allégations persistantes de détournements de recettes, ou encore la présence supposée d’« agents fantômes » gonflant artificiellement la masse salariale. La création en 2021 de Strans’ Urb, une entreprise concurrente, n’a pas produit les effets escomptés sur la qualité globale du service de transport public, illustrant la complexité du problème.
Cette acquisition majeure de 130 bus indiens s’inscrit donc dans une stratégie plus large de restructuration du secteur des transports publics. Au-delà de l’amélioration attendue du service aux usagers, l’enjeu est également social et économique : préserver plus d’un millier d’emplois directs menacés par les difficultés chroniques de l’entreprise. Le gouvernement de transition, conscient de la dimension stratégique des transports urbains, en fait un axe prioritaire de son action.
La coopération avec Tata Motors pourrait par ailleurs signaler un tournant dans les partenariats économiques du Gabon, traditionnellement orientés vers l’Occident. Ce rapprochement avec un acteur majeur d’un pays membre des BRICS illustre la diversification progressive des alliances commerciales et technologiques du pays, dans un contexte global marqué par la recomposition des équilibres géoéconomiques. Pour l’Inde, cette percée sur le marché gabonais des transports publics constitue une opportunité de renforcer sa présence économique en Afrique centrale, région stratégique riche en ressources naturelles.
Le calendrier de livraison des 130 bus n’a pas encore été communiqué officiellement, mais selon des sources proches du dossier, les premiers véhicules pourraient être opérationnels avant la fin de l’année 2025. Le montant exact de la transaction demeure également confidentiel, bien que des estimations non officielles l’évaluent à plusieurs millions d’euros. Un programme de formation des personnels techniques est également prévu dans le cadre de cet accord, afin d’assurer une maintenance optimale et prolonger la durée de vie opérationnelle des véhicules.
Les habitants de Libreville et des principales agglomérations gabonaises, quotidiennement confrontés aux défis de la mobilité urbaine, attendent avec impatience cette amélioration annoncée du réseau de transport public. Pour le gouvernement de transition, le succès de cette initiative constituera un test important de sa capacité à résoudre les problèmes concrets affectant la vie quotidienne des citoyens.